quinta-feira, janeiro 21, 2010

I FEEL, Marco Berrettini/*MELK PROD (critic @ LE Courrier, Genève)


A l'ADC, l'odyssée de la colère prend son temps

Paru le Mercredi 20 Janvier 2010
BERTRAND TAPPOLET

Culture GENÈVE - Entre danse subvertie par une théâtralité loufoque et philosophie en acte, «iFeel» de Marco Berrettini opte pour la prolifération du sens et des formes.
Il y a des pièces déroutantes, et essentielles aussi parce qu'elles bousculent nos attentes par une mise à distance critique du monde du spectacle et du corps dansant: iFeel en fait partie, à savourer jusqu'au 27 janvier à la salle des Eaux-Vives à Genève. Colère et temps dû de Peter Sloterdijk lui sert d'embrayeur d'imaginaire chorégraphique et de rythme, dont un duo masculin en claquettes et rhapsodes avec le livre comme instrument percussif façon Stomp. Tout s'ouvre sur six danseurs et comédiens complétant un cube en parpaings de mousse servis sur plateau. Avant de sommeiller debout en une ligne de corps agitée tel un éventail. Ces délaissés ou déclassés de l'Histoire sont en livrées de domestiques, rappelant le vaudeville et ses pantins articulés victimes de quiproquos. iFeel est le fruit d'une résidence tenue au Collège de Saussure, sous la houlette du DIP notamment.


Patchwork chorégraphique

L'opus pratique la citation en dévoyant des pans entiers de l'histoire des arts vivants. Du théâtre musical allemand et des cabarets antifascistes en passant par le cirque, le music-hall, les déhanchements érotico-bettyboopiens du New Burlesque, iFeel n'oublie pas les voiles de cellophanes papillonnants, vibratiles animés de longs bâtons et faisant disparaître le corps, évoquant l'égérie dansante de la Belle Epoque, Loïe Fuller. Bientôt, les danseurs alignent les pas de gigues style Lord of the Dance, avant d'entamer une course circulaire en chantonnant le «I Feel Pretty» de West Side Story.
Recourant à l'absurde, au nonsense, la création renoue avec le meilleur de la Compagnie de Marco Berrettini, dont Multi(s)me et L'Opérette sans sou, si. En ligne de mire philo, une société matricée par un consensus mou. Lequel recycle, récupère toute manifestation artistique. Une mollesse pierreuse qu'emblématise, sur le plateau, ce mur que les protagonistes ne cessent de reconfigurer. Les briques ductiles servent ainsi d'instables piédestaux pour un surplace sautillant sur le thème de Star Wars. Il y a dans ce iFeel un abîme qui nous aspire quoique l'on fasse, une façon de distendre la temporalité dans un merveilleux inaccomplissement, aussi.
Dans son ouvrage, Sloterdijk propose une histoire alternative de l'Occident, dont le moteur serait la colère née de l'injustice. De la transe consommatrice et de la jubilation face à l'objet (l'Eros), on échoue dans la compétition, la soif de reconnaissance (le Thymos). De son essai, ne semble surnager d'abord qu'une scène burlesque. Bustes dénudés que barrent leurs bras croisés, trois interprètes débattent des teintes de la couverture, du lettrage, du code-barres.


Humanité contradictoire

Un moment anthologique qui tourne autour du réel et du langage sans pouvoir les circonscrire, en creusant l'écart entre le mot et la chose. Et témoigne d'une parfaite maîtrise des ruptures de ton, dont le spectacle fait son miel, multipliant les incises au sein d'un canevas devenant mystérieux à force de décadrages et de glissements de sens. Le mot éclaire moins la danse, qu'il ne la sédimente d'une humanité contradictoire, vulnérable.
On échoue in fine à une atmosphère de plage surfant sur une magnifique métaphore de la société idéale, fraternelle et charnelle. Un quatuor formé d'un faune et d'elfes ébrouent leurs anatomies dénudées qu'infantilise une bande-son disneyenne. Dans cette fausse légèreté fragile, ils rapatrient la gymnastique rythmique à la Dalcroze alternant inspiration et expiration, comme la danse «naturiste» des années 1910. Un mirage à l'humanisme ambigu du corps naturel, du groupe et ses rêves communautaires, fusionnels. I
Note : Jusqu'au 27 janvier à 20h30, di à 18h, relâche lu 25 janvier, Salle ADC des Eaux-Vives. 82-83 rue des Eaux-Vives. Rés: tél: 022 320 06 06, www.adc-geneve.ch

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